A porta da traição

Safi, Castelo do Mar, Porta da traição
(c) Jorge Correia
Dans les places fortes portugaises du XVe siècle, comme le "Castelo do Mar" de Safi, était aménagée dans les murailles une petite porte discrètement située à l'opposé de l'entrée principale. En architecture militaire ibérique, ce type d'issue s'appelle "porte de la trahison". Elle permettait la fuite en cas d'assaut victorieux des ennemis.
J'avais un ami devenu un frère sur la route qui mène des cours de récréation aux premières cigarettes, de rêves de gloire en gueules de bois. Mais un jour il a franchi la porte de la trahison et déserté le château de notre amitié. Durant dix ans j'ai porté le deuil de mon alter ego disparu. Aujourd'hui, les souvenirs s'effacent et mon amertume s'est diluée dans les saveurs de la vie. A l'instar des Portugais ayant quitté les côtes marocaines pour celles du Brésil, j'ai moi-même mis le cap sur d'autres rivages. Tous les jours le Château de Mer de Safi est érodé par la houle. Tous les ans des pans de mur s'écroulent et sont dévorés par l'océan. Un jour il ne restera plus rien à trahir.

En las plazas fuertes portuguesas del siglo XV, como el "Castelo do Mar" de Safi, se dejaba en la muralla una pequeña puerta ubicada discretamente del lado opuesto a la entrada principal. En arquitectura militar ibérica, este de tipo de abertura se llama "puerta de la traición". Permitía la huida en caso de asalto exitoso del enemigo.
Tenía un amigo devenido hermano en la ruta que lleva de los patios de recreo a los primeros cigarrillos, de sueños de gloria en resacas. Pero un día cruzó la puerta de la traición y desertó el castillo de nuestra amistad. Durante diez años llevé el duelo de mi alter ego desaparecido. Hoy los recuerdos se borran y mi amargura ya se diluyó en los sabores de la vida. Como los Portugueses que dejaron las costas marroquíes por las brasileñas, también yo puse rumbo hacia otras orillas. Todos los días el Castillo de Mar de Safi es erosionado por el oleaje. Todos los años un trozo de pared se derrumba y es devorado por el océano. Un día no quedará más nada que traicionar.

Du sacrilège au sacré. / Desde el sacrilegio a lo sagrado.

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Posé au milieu d’un plateau désertique balayé par le vent, un rocher d’une quinzaine de mètres de diamètre aux arêtes aigües, dessine, sous un certain angle, le profil cubiste d’un Christ tourné vers le ciel argentin. Sa présence mystérieuse, à une très grande distance des montagnes dont il pourrait provenir, attire autour de lui, dans un chaos de bruit et de poussière, des centaines de pèlerins de tout type: familles en voiture, gauchos à cheval, citadins à moto, vendeurs ambulants, plus deux ou trois curés essayant de paraître diriger une messe. Les gens se pressent pour toucher, embrasser, caresser le rocher, et laissent dessus une photo, une lettre ou un cierge instable sur sa base de cire fondue. Il est difficile de ne pas ressentir une communion, au milieu des incantations à voix basse, des crucifix, et d’une multitude de mains qui touchent la pierre, puis les lèvres et enfin le front et trois fois la poitrine, dans un geste millénaire. 
Pour un admirateur des attaques suicidaires contre la Foi, contre l'Eglise et contre Dieu jetées par le Marquis de Sade du fond de son cachot, ce qui pourrait paraitre un paradoxe ou une rupture n’est en fait que continuité. Pour avoir le goût du sacrilège il faut avoir le sens du sacré. Le second contient le premier. Le premier n'existe qu'à l'intérieur du second. Donatien Alphonse François lui-même n’échappera jamais à cette contradiction, sauf peut être dans son testament dans lequel il demande que "les traces de ma tombe disparaissent de dessus la surface de la Terre comme je me flatte que ma mémoire s'effacera de l'esprit des hommes".
Colocado en el medio de una meseta desértica barrida por el viento, un peñasco de quince metros de diámetro de aristas agudas dibuja, bajo cierto ángulo, el perfil cubista de un Cristo mirando al cielo argentino. Su misteriosa presencia, a mucha distancia de las sierras de donde podría proceder, atrae alrededor de él, en un caos de ruido y polvo, un centenar de peregrinos de todo tipo: familias en coche, gauchos a caballo, jóvenes en moto, vendedores ambulantes, más dos o tres curas tratando de parecer estar dirigiriendo una misa. La gente se amontona para tocar, besar, acariciar la roca, y dejan una foto, una carta o una vela inestable sobre su base de cera derretida.
Es dificil no sentir una comunión, en medio de las oraciones en voz baja, de los crucifijos y de la multitud de manos que tocan la piedra, y después los labios, y en fin la frente y tres veces el pecho, en un gesto milenario.
Para un admirador de los ataques suicidas contra la Fe, contra la iglesia y contra Dios disparados por el marqués de Sade desde el fondo de su calabozo, lo que podría parecer una paradoja es en realidad una continuidad. Para gustar del sacrilegio, hay que tener el sentido de lo sagrado. El segundo contiene el primero. El primero no existe sino dentro del segundo. Donatien Alphonse François nunca sorteó esta contradicción, salvo quizás en su testamento donde pide que "los rastros de mi tumba desaparezcan de la superficie de la Tierra como me complace saber que mi memoria desaparecerá de la mente de los hombres".

Guerre, art et civilisation.

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Quand Cortés a pénétré pour la première fois la forêt du Petén, cela faisait cinq siècles que les ruines des grandes cités mayas gisaient englouties sous la végétation tropicale. Outre l'épuisement des ressources due à la surpopulation, la première et principale cause de l'effondrement de la civilisation maya classique a été la guerre. Ou plus exactement l'ivresse guerrière qui a transformé des rivalités naturelles en un cercle vicieux de délires de grandeur et de massacres sacrificiels systématiques des prisonniers. Cette folie sanguinaire aurait approché le suicide collectif si les populations n'avaient fui et ne s'étaient disséminées dans la forêt. En parallèle une compétition artistique s'est développée qui a donné naissance aux plus formidables monuments de  Mésoamérique. La puissance des pyramides de Tikal n'a d'égal que l'extravagance architecturale orgiaque de Copán et toutes deux témoignent d'une apogée économique et culturelle. Sa quintessence est atteinte par la délicatesse des traits des visages sculptés sur les stèles de Copán qui font oublier tout critère historique, archéologique ou ethnique à celui qui les contemple aujourd'hui. Ne reste que la fascination de l'art pur.
L'autre spécificité des Mayas est d'avoir développé une véritable écriture. Un système lui aussi d'une telle pureté que des hommes et des femmes d'une toute autre culture et surtout d'un autre millénaire sont parvenus à le déchiffrer par le seul usage de leurs facultés mentales et pour certains d'entre eux sans même poser un pied sur le continent américain. Alors ont jailli les rois, les reines, les dynasties, les batailles, les invasions, les calendriers astronomiques et les dates. Et les Mayas sont réapparus sur le livre d'histoire de la civilisation humaine parce que le propre d'une civilisation est d’écrire son histoire et d'en assurer la postérité éternelle pour gagner l'immortalité. 

Cuando Cortés penetró por primera vez la selva del Petén, hacía ya cinco siglos que las ruinas de las grandes ciudades mayas yacían sumergidas bajo la vegetación tropical. Además del agotamiento de los recursos naturales, la primera y principal causa del derrumbe de la civilización maya clásica ha sido la guerra. O más precisamente la embriaguez guerrera que transformó rivalidades naturales en un círculo vicioso de delirios de grandeza y masacres sistemáticos de los prisioneros en sacrificio. Esta locura sanguinaria habría rozado el suicidio colectivo si las poblaciones no hubieran huido diseminándose en la selva. En paralelo una competencia artística se desarrolló dando luz a los más estupendos monumentos de Mesoamérica. La potencia de las pirámides de Tikal solo tiene como equivalente la extravagancia arquitectónica orgiástica de Copán y las dos atestiguan del apogeo económico y cultural. Este alcanzó su quintaesencia con la delicadeza de los rostros esculpidos en las estelas de Copán que llevan quien hoy las contempla a olvidarse de todo criterio histórico, arqueológico o étnico. Solo queda la fascinación del arte puro.
Otra especificidad de los Mayas es el desarrollo de una verdadera escritura. Un sistema también tan puro que hombres y mujeres de cultura totalmente ajena y m
ás que todo de otro milenio han logrado descifrarlo con tan solo el uso de sus facultades mentales y en el caso de algunos de ellos sin siquiera poner un pie en el continente americano. Entonces brotaron reyes, reinas, dinastías, batallas, invasiones, calendarios astronómicos y fechas. Y los Mayas reaparecieron sobre el libro de historia de la civilización humana porque lo propio de una civilización es escribir su historia y asegurar su posteridad eterna para ganar la inmortalidad.

Casablanca: l'authenticité du mythe. /Casablanca: autenticidad del mito.


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Son nom évoque l’éclat blanc d’une ville noyée entre le bleu outremer et l’azur, une image lointaine inondée de soleil aperçue depuis le pont d’un bateau faisant cap vers son port. En 2005, ce nom m'a permis de rêver à nouveau et m’a fait accepter immédiatement le poste qu’on me proposait dans cette ville dont je ne savais rien. C'est ainsi que je m'installais au cinquième étage du siège de la société situé en plein centre, tout proche du port. Entouré d’immeubles néo-mauresques, ma vie retrouvait enfin une esthétique après avoir survécu un an à l'abomination urbanistique des alentours de Nanterre.
Invention française du tout début du XXème siècle, c’est ce port constituant une escale sur les routes maritimes entre l’Europe à l’Amérique du Sud qui draine depuis lors des hommes et des femmes à la recherche de travail, de négoces voire d’aventure et de fortune. Aujourd’hui encore des dizaines d’immigrants européens y débarquent tous les ans pour se faire embaucher comme comptables, architectes ou ingénieurs. Cette population cosmopolite en fait une cité de culture différente, difficilement domestiquée par les autorités nationales. De la misère des bidon-villes au luxe caché d'Anfa, de la classe moyenne du Maârif aux nouveaux riches de Californie la ségrégation sociale est impitoyable, mais elle n'est pas ethnique ni religieuse ni culturelle et ses habitants marocains et européens se côtoient et évoluent dans les mêmes espaces.
Par chance, grâce à sa mauvaise réputation, son intense trafic et sa pollution, elle est soigneusement évitée par les agences de voyage, ce qui en fait la seule ville du royaume dont les avenues ne sont pas enlaidies d'un torrent continu de touristes et de guides. On ne s'y promène donc ni en short ni en chameau, ce qui préserve la dignité urbaine de ses artères élégantes.
Pensée et planifiée par des urbanistes et des paysagistes, enrichie par des architectes d'avant-garde financés par de riches commanditaires privés avides d'ostentation, avantagée par ses infrastructures portuaires imposantes, couronnée par le dernier monument alaouite, Casablanca a une classe intrinsèque que des décennies de mauvais goût mondialisé ne parviendront pas à faire disparaître.
Cette ville (où je m’enorgueillis d'avoir vécu cinq ans) est restée à la hauteur de son passé mythique. Le mythe n'a pas été vendu en pâture ni disneylandisé pour le plus petit dénominateur commun, car Casablanca n'a rien à vendre sur le marché mondial du tourisme in vitro. Mais elle se suffit à elle-même, continue de croitre et les riches Casablancais roulent toujours en Jaguar dans les rues sales et sur les routes poussiéreuses du pays et suscitent l'indignation des touristes venus apporter des stylos Bic dans les pays "du Sud".

Su nombre evoca el resplandor blanco de una ciudad diluida entre el azul ultramar y el celeste, una imagen distante bañada por el sol, distinguida desde la cubierta de un barco con rumbo a su puerto. Ese nombre me permitió volver a soñar y me hizo aceptar inmediatamente el puesto que me ofrecían en esa ciudad de la cual no sabía nada. Fue así que en el 2005 me instalaba en el quinto piso de la sede de la empresa ubicada en el centro, muy cerca del puerto. Rodeado por edificios de estilo neo-morisco, mi vida retomaba por fin una estética después de un año de supervivencia en la abominación urbana de los suburbios parisinos.
Invención francesa del inicio del siglo XX, es ese puerto, escala en las rutas marítimas entre Europa y Sudamérica que drena desde entonces hacia ella hombres y mujeres en busca de trabajo, negocio, aventura y fortuna sin interrupción. Todavía hoy, decenas de inmigrantes europeos desembarcan allí cada año para ser contratados como contadores, arquitectos o ingenieros. Esta población cosmopolita hace de ella una ciudad de cultura diferente, difícilmente domesticada por las autoridades nacionales. Desde la miseria de los barrios pobres al lujo escondido de Anfa, de la clase media del Maârif a los nuevos ricos de California la segregación social es implacable, pero no es étnica ni religiosa ni cultural y los habitantes marroquíes y europeos conviven en los mismos espacios.
Afortunadamente, gracias a su mala reputación, su tráfico intenso y su contaminación, es cuidadosamente evitada por las agencias de viaje por lo que es la única ciudad del reino cuyas avenidas no están desfiguradas por un flujo continuo de turistas y guías. Así que nadie pasea en pantalones cortos ni en camello, lo que preserva la dignidad urbana de sus arterias elegantes.
Pensada y planificada por urbanistas y paisajistas, enriquecida por arquitectos de vanguardia financiados por ricos patrocinadores privados deseosos de ostentación, favorecida por sus infraestructuras portuarias imponentes, coronada por el último monumento alauí, Casablanca tiene un elegancia intrínseca que décadas de mal gusto globalizado no lograrán borrar.

Esta ciudad (en la que me enorgullece haber vivido cinco años) se mantiene todavía a la altura de su pasado mítico. El mito no fue vendido o disneylandizado para el mínimo común denominador porque Casablanca no tiene nada para vender en el mercado mundial del turismo in-vitro. Pero no necesita venderse, sigue creciendo y los ricos Casablanquenses siguen manejando su Jaguar en las calles sucias y las carreteras polvorientas del país despertando la indignación de los turistas que llevan bolígrafos Bic a los países "del Sur".

La Isla del Encanto. / L'île de l'enchantement.

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En 1999 Cristina y yo nos casamos, en 2000 compramos un apartamento en el barrio de Belgrano, en 2001 nació Santiago y en 2002 estalló la crisis argentina. Todos nuestros planes vacilaron en unas pocas semanas bajo los efectos de los cierres de empresas, los saqueos y los secuestros-exprés que azotaron la Capital Federal. Me ofrecieron un puesto en San Juan de Puerto Rico y nos salvamos del naufragio argentino en la isla caribeña.

Aun hoy, diez años después, tengo presente mi sensaciones al llegar de noche al aeropuerto de Isla Verde: primero la humedad del aire tibio señalando la proximidad del mar, luego el camino en taxi bordeando la costa y sus hileras de palmeras oscilando bajo el viento marino, a lo lejos las murallas iluminadas del viejo San Juan con el cielo estrellado de fondo, luego las calles empedradas y sus faroles en las esquinas hasta llegar al casco antiguo, al hotel "El Convento" donde me esperaban varios de mis amigos y colegas argentinos, rescatados como yo en ese paraíso terrenal. 
Desde la fiesta de la calle San Sebastián a los bares salseros de Piñones, desde las playas de "Los Tubos" a la laguna bioluminiscente de Fajardo, desde la bahía de Cabo Rojo al castillo del Morro, Puerto Rico fue un bálsamo milagroso que me permitió perder la memoria durante dos años, viviendo en el barrio de Condado, a 6 000 kilómetros de Buenos Aires, 7 000 kilómetros de París y treinta metros de la playa.
En 2004, el encanto se rompió como una pompa de jabón y nos despedimos para siempre de lo que hoy me parece haber sido una alucinación colectiva. 


En 1999, Cristina et moi nous sommes mariés, en 2000 nous avons acheté un appartement dans le quartier de Belgrano, en 2001 Santiago est né et en 2002 la crise argentine a éclaté. Tous nos plans ont alors vacillé en quelques semaines sous le coup des fermetures d'entreprises, des pillages et des enlèvements-express qui frappèrent alors la capitale fédérale. On me proposa un poste à San Juan de Puerto Rico et nous nous sauvâmes du naufrage argentin sur l'île des Caraïbes.
Aujourd'hui encore, dix ans après, mes sensations à mon arrivée de nuit à l'aéroport d'Isla Verde sont très présentes: d'abord l'air chaud et humide indiquant la proximité de la mer, puis le trajet en taxi le long de la côte et ses rangées de palmiers oscillant sous le vent marin, au loin les murailles illuminées du Vieux San Juan sur fond de ciel étoilé, puis les rues pavées et leurs lampadaires jusqu'à l'arrivée au centre historique à l'hôtel "El Convento" où m'attendaient plusieurs de mes amis et collègues argentins rescapés comme moi sur ce paradis terrestre.
De la fête de la rue San Sebastian aux bars salseros de Piñones, de la plage "Los Tubos" à la lagune bioluminescente de Fajardo, de la baie de Cabo Rojo au fort d'El Morro, Puerto Rico a été un baume miraculeux qui m'a permis de perdre la mémoire pendant deux ans, habitant le quartier de Condado, à 6 000 kilomètres de Buenos Aires, 7 000 kilomètres de Paris et trente mètres de la plage.
En 2004, l'enchantement s'est rompu comme une bulle de savon et nous avons quitté pour toujours ce qui aujourd'hui
me semble avoir été une hallucination collective.




Nager au large. / Nadar mar adentro.

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Quelques années avant mon départ pour l'Argentine, dans ma quête de littérature latino-américaine, j'ai lu un roman de cette haute densité existentielle que j'allais découvrir plus tard à Buenos Aires. Son titre est d'ailleurs explicite: "La vie exagérée de Martín Romaña". Son auteur, Alfredo Bryce Echenique, y dépeint une version romancée de sa vie d'écrivain péruvien dans le Paris de mai 68, d'une ironie et d'une honnêteté intellectuelle à pleurer de rire. Il aura eu, lui aussi, une influence certaine sur ma propre vie.
En effet, à l'instar de Bryce Echenique quittant son milieu de la haute bourgeoisie limeña pour une vie de bohême à Paris, je suis parti chercher cette "vie exagérée" à Buenos Aires. Pendant une petite dizaine d'années j'ai fait et défait, j'ai trouvé du travail puis démissioné puis retrouvé du travail, je suis parti pour trois mois, resté trois ans, puis reparti pour toujours, puis finalement revenu. J'ai changé de nationalité, de langue, de croyance. J'ai perdu et gagné des amis. J'ai exploré des voies, même par essai et erreur et j'ai choisi, même par défaut.
Beaucoup de découvertes, mais aussi de volte-faces et au bout du compte, rien d’héroïque ni d'extraordinaire, rien de glorieux ni de révolutionnaire, juste la sensation d'avoir nagé au large, loin et longtemps, aussi loin et longtemps que je voulais.
Alfredo Bryce Echenique, et surtout Martín Romaña, y sont pour quelque chose.

Unos años antes de mi partida a la Argentina, en mi búsqueda de literatura latinoamericana, leí una novela de la misma alta densidad existencial que descubriría unos años más tarde en Buenos Aires. Su título es, de hecho, explícito: "La vida exagerada de Martín Romaña ". Su autor, Alfredo Bryce Echenique, pinta una visión novelesca de su vida de escritor peruano en el París de mayo 68 (el "mayo francés") con una ironía y una honestidad intelectual para llorar de risa. Habrá tenido, él también, una influencia certera sobre mi propia vida.
En efecto, al igual que Bryce Echenique quien abandonó su ámbito de la alta burguesía limeña por una vida bohemia en París, yo me fui en busca de esta "vida exagerada" a Buenos Aires. Durante un poco menos de diez años hice y deshice, conseguí trabajo, luego renuncié y luego volví a trabajar, me fui por tres meses, me quedé tres años, luego me fui para siempre, y finalmente regresé. He cambiado de nacionalidad, de idioma, de creencias. He perdido y ganado amigos. He explorado vías, incluso por ensayo y error, y he elegido, incluso por defecto.
Muchos descubrimientos, pero también muchas idas y vueltas y, al final, nada heroico o extraordinario, nada glorioso o revolucionario, sólo la sensación de haber nadado mar adentro, lejos y mucho tiempo, tan lejos y tanto tiempo como yo quería.
Alfredo Bryce Echenique, y sobre todo
Martín Romaña , tienen algo que ver.

¿Quién te quita lo bailado?

A la tarde cuando se iba poniendo el sol, los pelícanos empezaban a bordear la costa en pequeños grupos planeando en fila al ras del agua. Cuando una ola se levantaba elevaban su trayectoria con unos pocos batidos de sus alas pesadas y cuando la ola se rompía, alcanzaban su punto de inflexión y volvían a bajar retomando la formación inicial sobre el agua apaciguada, en una perfecta armonía con el océano. Se los veía llegar desde el noroeste a lo lejos. Pasaba un grupo, y después de quince o veinte minutos pasaba otro, hasta la caída de la noche. Cada grupo se llevaba un pensamiento mío y lo hacía desaparecer en luz encandiladora de sol poniente. Terminaba el día con la cabeza vacía, ligeramente aturdido y beatíficamente feliz.
Este movimiento regular, repetido, pendular, hipnótico esta grabado en mí. Cuando me agobia la vida, me vuelve el recuerdo de esos días vividos al compás de los pelícanos de Monterrico en la costa del Pacífico y me viene el refrán rioplatense: ¿quién te quita lo bailado? 

Le soir au coucher du soleil les pélicans commençaient à longer la côte en petits groupes planant en file au ras de l'eau. Quand une vague se levait ils élevaient leur trajectoire par quelques battements de leurs ailes lourdes et quand la vague se cassait, ils atteignaient leur point d'inflexion et redescendaient en reprenant leur formation initiale sur l'eau apaisée, en parfaite harmonie avec l'océan. On les voyait arriver au loin du Nord-Ouest. Un groupe passait, puis quinze ou vingt minutes plus tard un autre, jusqu'à la tombée de la nuit. Chaque groupe emportait une de mes pensée et la faisait disparaitre dans la lumière éblouissante du soleil couchant. Je finissais la journée la tête vide, légèrement hébété et béatement heureux.
Ce mouvement régulier, répété, pendulaire et hypnotique est gravé en moi. Quand la vie me pèse, je me rappelle ces jours vécus au rythme des pélicans de Monterrico sur la côte du Pacifique et me vient à l'esprit le proverbe rioplatense : personne ne peut te prendre ce que tu as déjà dansé.

La conquista y la papa a la Huancaína. / La conquête et la pomme de terre à la Huancaïne.

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Lima no es una linda ciudad. Frente a un océano demasiado pacífico sobre el cual se dejan flotar unas gaviotas aburridas, la ciudad padece un micro-clima nefasto que le niega tanto el sol como la lluvia. Es el lugar más seco del continente y el cielo más gris de Perú. Salvando el casco histórico, y sus edificios coloniales barrocos, la ciudad se compone de barrios de casas feas y avenidas aberrantes como la "zanja", una autopista urbana semi-enterrada. No hay un café digno de sentarse a mirar a los transeúntes limeños quienes, de todos modos, no se lucen por su elegancia (jeans, zapatillas y gorrita para todos). Pero Lima tiene un secreto...En un continente sudamericano cuyos platos criollos más sofisticados son la empanada de carne y el arroz con frijoles, la cocina limeña se destaca por su refinamiento y su originalidad. La variedad y la complejidad de las recetas traducen una larga tradición gastronómica prehispánica y criolla que sobrevive hoy a la globalización como sobrevivió ayer a la colonización.
Y si se puede disfrutar hoy de este arte culinario es porqué los peruanos también sobrevivieron a la colonización. Después de un primer contacto extremadamente mortífero en el Caribe, y a pesar de todas las violencias físicas y sociales que siguieron en el continente, la colonización española de América se hizo por mestizaje espontáneo desde el primer día (Cortés como Pizarro y sus lugartenientes se unieron con princesas indígenas) y luego apoyado políticamente por la Corona. No es un dato menor, menos todavía si se compara con el genocidio decidido y planificado en América del Norte por los colonos holandeses e ingleses y sus descendientes. Significa que desde un punto de vista sociológico y filosófico, y contrariamente a lo que pretenden muchas teorías basadas en una mera lista de las exacciones, abusos y segregaciones raciales de la época, el colono español, con todos sus defectos y a pesar de todo su poder de destrucción, se sintió suficientemente próximo al "Otro" para mezclar su sangre y en pocas generaciones diluirse en un pueblo de "otra raza".
En 1996, estuve trabajando en Lima unos meses. El día de mi llegada, un ingeniero limeño me llevó a almorzar a un buen restaurante. Cuando vio mi asombro por la calidad de la comida, lleno de orgullo me dijo: "las grandes civilizaciones se reconocen por la calidad de su gastronomía", mientras me comía mi primeras "papas a la Huancaína". El dia de mi partida, el Movimiento Revolucionario Túpac Amaru asaltaba y tomaba la embajada japonesa en Lima.


Lima n'est pas une belle ville. Face à un océan trop pacifique sur lequel flottent quelques mouettes endormies, la ville souffre d'un microclimat néfaste qui lui refuse à la fois le soleil et la pluie. C'est l'endroit le plus sec du continent et le ciel le plus gris du Pérou. Hormis les monuments coloniaux baroques du centre historique, la ville est composée de quartiers de maisons laides et d'avenues aberrantes comme la "tranchée", une autoroute urbaine semi-enterrée. Il n'y a aucun café digne de s'y installer pour regarder les passants limeños qui, de toute façon, ne brillent pas par leur élégance (jeans, baskets et casquettes pour tous). Mais Lima a un secret ... Dans un continent sud-américain dont les  plats créoles les plus sophistiqués sont les empanadas et le riz aux haricots, la cuisine limeña se démarque par son raffinement et son originalité. La variété et la complexité des recettes reflètent une tradition culinaire pré-hispanique et créole qui survit aujourd'hui à la mondialisation comme elle a survécu hier à la colonisation. 
Et s'il est possible de profiter de cet art culinaire aujourd'hui, c'est parce que les Péruviens également ont survécu à la colonisation. Après un premier contact très meurtrier dans les Caraïbes et malgré toute la violence physique et sociale qui a suivi sur le continent, la colonisation espagnole de l'Amérique s'est faite par le métissage spontané dès le premier jour (Cortés comme Pizarro et leurs lieutenants se sont unis à des princesses indiennes) et soutenu politiquement plus tard par la Couronne. Ce n'est pas négligeable, encore moins comparé au génocide décidé et planifié en Amérique du Nord par les colons hollandais et anglais et leurs descendants. Cela signifie que, d'un point de vue sociologique et philosophique et contrairement à ce que prétendent de nombreuses théories fondées sur une simple liste des exactions, abus et ségrégations raciales de l'époque, les colons espagnols, avec tous leurs défauts et malgré tout leur pouvoir de destruction, se sont sentis suffisamment proches de l'"Autre" pour mélanger leur sang et en quelques générations se diluer dans un peuple "d'une autre race". 
En 1996, j'ai travaillé quelques mois à Lima. Le jour de mon arrivée, un ingénieur limeño m'a emmené déjeuner dans un bon restaurant. Quand il vit mon extrême surprise face à la qualité de la cuisine, plein de fierté il me dit: "les grandes civilisations se reconnaissent à la qualité de leur gastronomie" tandis que je mangeais mes premières pommes de terre "à la Huancaína". Le jour de mon départ, le Mouvement Révolutionnaire Túpac Amaru prenait d'assaut l'ambassade du Japon à Lima.

Orientales del Sur. / Orientaux du Sud.

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En 1943, en su famoso cuadro "América Invertida", Joaquín Torres García ya sintió la necesidad de ubicar a su ciudad natal en un mapa con longitud y latitud. A pesar de sus esfuerzos, Montevideo se fue borrando poco a poco del mapa del mundo, después de haber sido, al principio del siglo XX, una escala importante en las famosas y concurridas líneas marítimas transatlánticas entre Europa y Sudamérica. Después de la Guerra Fría que le trajo su lote de dictadura y desaparecidos, Montevideo fue totalmente olvidada por el mundo. Atrapados entre un gigante brasileño demasiado diferente y una Argentina demasiado inestable, los montevideanos se fueron acostumbrando a su nueva inexistencia internacional y siguieron juntándose a tomar mate en Punta Gorda, a la hora de la puesta del sol sobre el horizonte del Río de la Plata.
En 1999, mi empresa porteña me encargó un estudio en la capital uruguaya. Durante casi un año, todos los lunes por la mañana tomaba el avión en Aeroparque (Buenos Aires) y aterrizaba media hora después en Carrasco (Montevideo). El viernes a la tarde, volvía a cruzar el Río de la Plata en sentido contrario.  Me alojaba en el hotel Lafayette cuyos empleados, después de un par de meses, me consideraron como un pariente. Las semanas con pocas reservas, que eran muchas, el recepcionista me dejaba la "suite presidencial". La cocinera me prepara una salsa personalizada para la pasta. El remisero que me buscaba y llevaba al aeropuerto se conocía toda mi vida, y yo la de él. No podría haberme sentido más cómodo. La capital oriental me resultaba totalmente familiar y los montevideanos me trataban como un vecino rioplatense. El hecho de estar viajando todas las semanas entre las dos ciudades me procuraba una sensación especial, la de estar suspendido en un estado a la vez temporario y permanente. No creo que vuelva nunca a Montevideo, pero me queda el recuerdo de este extraño paréntesis en mi vida, como un cuento de Mario Benedetti.


En 1943, sur son célèbre tableau "América Invertida", Joaquín Torres García a ressenti le besoin de situer sa ville natale sur une carte avec longitude et latitude. Malgré ses efforts, Montevideo s'est progressivement effacée de la carte du monde après avoir été au début du XXe siècle, une escale majeure sur les fameuses routes maritimes transatlantiques entre l'Europe et l'Amérique du Sud. Après la Guerre Froide, qui lui a apporté sa part de dictature et de disparus, Montevideo a été totalement oubliée par le monde. Coincée entre un géant brésilien trop différent et une Argentine trop instable, les Montevidéens se sont habitués à leur nouvelle inexistence internationale et ont continué à se réunir pour boire le maté à Punta Gorda, au coucher du soleil sur l'horizon du Rio de la Plata.
En 1999, mon entreprise portègne m'a chargé d'une étude dans la capitale uruguayenne. Pendant presque un an, tous les lundis matin je prenais l'avion à Aeroparque (Buenos Aires) et une demi-heure plus tard j'atterrissais à Carrasco (Montevideo). Le vendredi soir, je retraversais le Rio de la Plata dans le sens contraire. Je logeais à l'Hôtel Lafayette dont les employés, au bout de quelques mois, m'ont considéré comme un parent. Les semaines de peu de réservations, qui étaient nombreuses, le réceptionniste me laissait la "suite présidentielle". La cuisinière me préparait une sauce personnalisée pour les pâtes. Le chauffeur de taxi qui m'emmenait à l'aéroport connaissait toute ma vie et moi la sienne. Je ne pourrais pas m'être senti plus à mon aise. La capitale orientale m'était totalement familière et les Montevidéens me traitaient comme un voisin Rioplatense. Le fait de voyager chaque semaine entre les deux villes me procurait un sentiment particulier d'être suspendu dans un état à la fois temporaire et permanent. Je ne pense pas que je retourne un jour à Montevideo, mais je garde le souvenir de cette parenthèse étrange dans ma vie, comme une nouvelle de Mario Benedetti.


Canciones desesperadas.


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Trois pays, l'Argentine, l'Uruguay et le Portugal ont élevé la chanson populaire au rang des arts majeurs, à travers deux genres devenus traditionnels qui partagent de nombreux points communs: le Tango et le Fado. A ma connaissance aucun autre pays n'a développé un aussi vaste répertoire de ce calibre tragique et populaire, à l'intérieur d'un même genre musical, avec une telle profondeur poétique, et dans une telle homogénéité stylistique. Les points communs entre les deux genres sont nombreux et interpellent. Parmi ceux-ci, un est très particulier : le cadre urbain , ou plutôt les deux villes-théâtres que sont Buenos Aires pour le Tango et Lisbonne pour le Fado. Plus qu'un décor, ces deux villes sont des personnages à part entière. Dans un genre comme dans l'autre, chacune des capitales est invoquée, regrettée,  remerciée et constitue un refuge maternel qui atténue les douleurs de l'existence. Pourquoi et comment deux villes ont-elles généré deux univers poétiques presque identiques? Pourquoi dans ces univers, chacune de ces deux villes a le même rôle essentiel ? Pourquoi ces deux villes et pas une autre ? Ni le Tango ni le Fado ne supportent l'analyse cartésienne. La puissance poétique annule les facultés rationnelles. Alors que je cherche un début de réponse, l'un des derniers vers de "Canción desesperada", lancé a capella, syllabe après syllabe, par le "polaco" Goyeneche, résonne dans ma tête:
 "¿Dónde estaba Dios cuando te fuiste?"
("Où était Dieu quand tu es partie?" )
Le genre de question dont on n'attend aucune réponse.


Tres países, Argentina, Uruguay y Portugal elevaron la canción popular entre las artes mayores, a través de dos géneros devenidos tradicionales que comparten muchos puntos en común: el Tango y el Fado. A mi entender, ningún otro país ha desarrollado un repertorio tan amplio de este calibre trágico y popular dentro de un mismo género, con esta profundidad poética y con esta homogeneidad estilística. Las similitudes entre los dos géneros son muchas y llaman la atención. Entre ellas, una es muy particular: el ámbito urbano, o mejor dicho, las dos ciudades-teatros que son Buenos Aires para el Tango y Lisboa para el Fado. Más que un decorado, estas dos ciudades son verdaderos personajes. En un género como en el otro, cada una de las capitales se invoca, se extraña, se agradece y constituye un refugio maternal que atenúa el dolor de la existencia. ¿Por qué y cómo dos ciudades han generado universos poéticos casi idénticos? ¿Por qué en estos universos, cada una de las dos ciudades tiene el mismo papel esencial? ¿Por qué estas dos ciudades y no otra? Ni el Fado ni el Tango soportan el análisis cartesiano. El poder poético anula las facultades racionales. Mientras estaba buscando el principio de una respuesta, uno de los últimos versos de "Canción desesperada", lanzado a capella, sílaba por sílaba, por el "polaco" Goyeneche, resuena en mi cabeza:
 "¿Dónde estaba Dios cuando te fuiste?" 
El tipo de pregunta sin ninguna respuesta esperada.

El sueño de los héroes. / Le songe des héros.

 - version en français plus bas -

Unos años antes de mi partida, fue a través de la literatura que Buenos Aires apareció en mi vida y poco a poco se impuso como parte de mi destino. La novela "El sueño de los héroes" obviamente tuvo un papel central en esta revelación. Unos meses después de mi llegada, se me ocurrió buscar el nombre de Adolfo Bioy Casares en la guía telefónica. Lo encontré, llamé, y tras insistir un poco con su empleada, estuve con él un par de horas en su departamento de Barrio Norte. Recuerdo que hablamos (en francés a su pedido) de literatura, y que me firmó un ejemplar del "Sueño de los héroes", que perdí. Lo que me dijo Adolfo Bioy Casares, no me lo acuerdo, pero no es muy relevante. El ya había influido sobre mi historia: yo vivía en Suipacha y Corrientes, Buenos Aires. Ese día, sólo fui a comprobar que existía uno de los autores de mi futuro inventado.

Quelques années avant mon départ, c'est à travers la littérature que Buenos Aires est apparue dans ma vie et s'est imposée peu à peu comme faisant partie de mon destin. Le roman "Le songe des héros" a bien évidemment joué un rôle central dans cette révélation. Quelques mois après mon arrivée, j'ai eu l'idée de chercher le nom d'Adolfo Bioy Casares dans l'annuaire téléphonique. Je l'ai trouvé, j'ai appelé et après avoir un peu insisté auprès de son employée, je l'ai rencontré dans son appartement de Barrio Norte, pendant une heure ou deux. Je me rappelle que nous avons parlé (en français, à sa demande) de littérature et qu'il m'a dédicacé un exemplaire du "Songe des héros" que j'ai perdu. Ce que m'a dit Adolfo Bioy Casares, je ne m'en souviens plus. Et cela a finalement assez peu d'importance. Il avait déjà influé sur mon histoire: j'habitais Suipacha y Corrientes, Buenos Aires. Ce jour-là, je suis juste allé vérifier qu'existait un des auteurs de mon futur inventé.